« L’ostéopathie,
la fée placebo »,
Article du journal Libération, écrit par Éric Favereau, P 16, Mercredi 24 Mars 2021
Par Florent Majoullier,
ostéopathe D.O. Le 27/03/2021 : Temps de lecture 11 minutes
En 1973 était créé un périodique promettant d’incarner de façon plus représentative la voix dissimulée du peuple ; ainsi qu’un certain renouveau, en therme d’éthique journalistique. Ce journal, Libération, créé par Jean-Paul Sartre, Jean-Claude Vernier, Serge July, Philippe Gavi et Bernard Lallement publia le 3 février 1973 son tout premier manifeste où figuraient les valeurs et les raisons majeures d’une telle naissance. Entre autres, « Quand les informations lui manqueront, il le dira. Il ne se croit tenu que par l’exigence d’une information conforme aux besoins populaires. Quand il manquera d’une telle information, il ne se croira pas tenu de ne parler pour ne rien dire, il ne cherchera pas, non plus, à imposer un point de vue » (article 6 du Manifeste, 3 février 1973), « La majorité des rédacteurs de la presse quotidienne reçoit servilement des directives fabriquées dans les grands restaurants où se rencontrent des faiseurs de la politique officielle. […] Quand un rédacteur servile de la presse quotidienne, pour prendre l’air du temps, ira discuter avec un député ou un directeur de cabinet, le journaliste de Libération, lui, ira discuter avec les gens, jeunes et vieux, avec les membres de comités de lutte d’ateliers, de mal-logés,
de consommateurs » (article 3, Ibid.). Une philosophie que Libération incarne en ces quelques mots :
« Peuple, prends la parole et garde-la! » (Article 2, Ibid.) ; si bien que c’est un honneur de pouvoir satisfaire une telle devise.
Que dire de cet article – L’ostéopathie, la fée placebo – écrit par Monsieur Éric Favereau, journaliste de Libération, « spécialiste des questions de santé, longtemps responsable de la rubrique Médecine » (https://www.franceculture.fr/personne-eric-favereau) ? La réponse tient en ceci : beaucoup trop ! Autant sur la forme que sur le contenu, mais aussi sur ses conséquences. Il est vrai que les articles sur l’ostéopathie sont nombreux et qu’ils participent à de sempiternels débats : reconnaissances, épreuves scientifiques, explications théoriques et pratiques, profession de santé publique, charlatanisme, etc… Il est tout aussi vrai que cet exemple d’article même représente le parangon d’une pensée médicale qui ne laisse aucunement place à la pertinence du débat – du moins sur le papier. Bien entendu, ce n’est pas la première fois que de tels articles sont publiés et celui-ci ne sera pas le dernier. Nous pouvons cependant nous interroger et nous offusquer de la mise en oeuvre perpétuelle d’une doxa panégyrique de la médecine.
Commençons par le début : il était une fois… Il était une fois « l’histoire d’un jour » – encadré rouge dans l’article –, l’histoire d’une « fée », d’un « bâtard », de « mystères » et d’une reine mondiale, quant à sa
« densité en France » (à noter que tous ces qualificatifs, désignant l’ostéopathie, sont en gras et police plus importante). Une histoire merveilleuse pour enfant – vous ! – avec une destinée incertaine, de la magie et la déchéance d’une discipline qui aurait vécu un conte de fée pendant un temps : celui qui dura depuis 1874 jusqu’à l’avènement de l’étude menée par le Professeur François Rannou.
Ou peut-être, l’histoire d’un fléau selon ce que laisse suggérer l’atmosphère de la photographie associée à l’article (par ailleurs, la seule grande photographie en noir et blanc du journal entier – même la COVID a le droit à sa couleur). En tout cas, une histoire racontée et assumée ; mais dispersée, çà-et-là, entre faits scientifiques et paroles d’évangile.
Bien évidemment, on peut s’attarder longuement sur la forme, sur tous ces mécanismes conscients et inconscients qui influencent continuellement le lecteur. La logique narrative, la thématique, comme par exemple, le vocabulaire féérique (étymologiquement, « la fée » vient du latin fatum « destin », et représente « un personnage féminin imaginaire, doté de pouvoirs magiques, et censé influencer sur le monde des vivants », www.cnrtl.fr). Ou encore le mélange de faits véridiques et d’autres erronés afin de garantir une certaine crédibilité – ils sont légions. L’appel à l’émotion (ce cher rhumatologue pour qui « on peut être inquiet », cette « Virginie, trentenaire sujette aux lombalgies » qui prend conscience de tout cet argent dépensé pour rien). Mais aussi au phénomène de croyance, ce besoin nécessaire pour l’homme qui repose souvent sur la simplification du réel : quoi de plus facile que d’associer effet placebo et ostéopathie lorsque la compréhension de cette dernière nécessite du temps et de l’investissement. Pourtant, malgré le ton honni, la question est des plus intéressantes ! Par ailleurs, aucune définition ou signification de l’effet placebo n’est proposé dans cet article – alors qu’il partage la vedette. Imagination, influence, magie, inquiétude, argent : fil rouge et lézardes d’une thérapie sous l’oeil averti d’un journaliste conquis.
Peut-on considérer qu’« une » seule étude – celle du Professeur Rannou – puisse être suffisante pour statuer définitivement sur un tel sujet ? A-t-elle cette légitimité ? Absolument pas !
Le journaliste a-t-il présenté une critique expérimentale de l’étude ? Une critique nécessaire, honnête et raisonnable : absolument pas ! Comme le dit Claude Bernard, physiologiste, « plus une science est complexe, plus il importe, en effet, d’en établir une bonne critique expérimentale, afin d’obtenir des faits comparables et exempts de cause d’erreur. » (Introduction à l’Etude de la Médecine Expérimentale, éd Champs classiques, 2008, P 34). Et d’ajouter, « la condition d’un phénomène une fois connue et remplie, le phénomène doit se reproduire toujours et nécessairement, à la volonté de l’expérimentateur. La négation de cette proposition ne serait rien autre chose que la négation de la science même. » (Ibid., P 134).
L’expérience du Professeur Rannou est-elle discutable ? La méthodologie est-elle « exempte de cause d’erreur » (Ibid.) ? Si bien que « si les faits qui servent de base au raisonnement sont mal établis ou erronés, tout s’écroulera ou tout deviendra faux » (Ibid., P 51). A ce titre, plusieurs points non négligeables sont à préciser.
Tout d’abord, une lombalgie n’est pas une « pathologie », comme mentionnée dans l’article. C’est un symptôme, c’est-à-dire « une manifestation spontanée de la maladie permettant de la déceler » (www.cnrtl.fr). Etymologiquement, lombalgie vient de lombes et de -algie, soit « une douleur de la région lombaire, d’origine et d’évolution très diverses » (Ibid.). En ce sens, une lombalgie peut être une douleur (ou une gêne) provenant d’une multitude de causes d’origine pathologiques, mécaniques, congénitales, traumatiques etc… s’exprimant au niveau du bas du dos. Quelques causes courantes sont l’arthrose, les pathologies discales, les troubles musculosquelettiques, les douleurs référées viscérales, les irritations nerveuses etc…
Comment, dès lors, comprendre l’étude du Professeur Rannou ? Car les imprécisions sont nombreuses. Cette étude, « menée pendant près de dix ans », « une première mondiale », a pris en compte des
« lombalgies communes subaiguës et chroniques ». Que signifie « communes » pour l’équipe du Professeur Rannou ? Quelles sont celles prises en compte dans l’étude ? Etaient-ce les mêmes lombalgies pour tous les participants ? Car le traitement se doit d’être adapté au diagnostic. Quel(s) examen(s) a (ont) été utilisé(s) pour le diagnostic ? Qui a diagnostiqué ? Quels étaient les stades d’évolution pour chaque pathologie lors du diagnostic ? A-t-on différencié les lombalgies subaigües et chroniques ? Car le pronostic est différent au court et au long terme. D’autres pathologies ou symptômes étaient-ils présent(e)s (par exemple : douleurs viscérales, cancers etc…) ? Si oui, ces patients ont-ils été mis à part ? Y a-t-il eu des variations de résultats en fonction de l’âge des participants par rapport au type de lombalgie ? Le critère d’évaluation principal étant « la diminution du retentissement de la lombalgie à trois mois », certains participants ont-ils vu leur diagnostic de départ évoluer en cours (par exemple un accident ou chute qui aurait pu fausser les résultats pendant la durée de participation) ? Certains participants n’ont-ils reçu que des traitements ostéopathiques (traitements médicamenteux, chirurgie etc…) ?
Les participants ayant été « recrutés parmi le personnel des hôpitaux de Paris », quelles étaient leurs professions et opinions sur l’ostéopathie ? Car la critique récurrente des professionnels de santé sur l’ostéopathie, alliée à une profonde contestation ou méfiance technico-philosophique de cette dite profession ont un impact certain et décisif dans le résultat du soin.
En quoi la revue JAMA est-elle une « grande revue » ? Quels sont les critères d’une telle référence ? Il se peut que cette étude ait été menée dans l’art même de l’expérience scientifique ; cependant, on ne peut, malheureusement, exclure une prise illégale d’intérêt. La crise du COVID n’a-t-elle pas exposé un mécanisme fréquent de publications scientifiques guidées par les intérêts et/ou la corruption (confer the Lancet Gate) ? Car l’histoire nous a appris et continue de nous apprendre à quel point les enjeux économiques et politiques interfèrent dans la science.
Le Professeur Rannou a-t-il des conflits d’intérêts ou des prises de positions susceptibles d’avoir nui au juste déroulement scientifique de cette étude ? A-t-il commis des erreurs de méthodologie ou d’éthique ? Il semble intéressant d’avoir l’avis d’un ou plusieurs scientifiques et journalistes aguerris à la critique expérimentale. Comment expliquer l’absence totale de critiques et de nuances pour une étude ô combien critiquable ? Voire diffamatoire.
Sur quelles études se base le Professeur Rannou lorsqu’il affirme que « dans les traitements non chirurgicaux, ce qui donne les meilleurs résultats, ce sont les traitements actifs […] Les traitements passifs sont souvent délétères ou inopérants ». Est-ce l’avis personnel du Professeur ou est-ce un avis basé sur des faits expérimentaux et scientifiques ? Par ailleurs, un traitement ne peut-il être que passif ? Que actif ? Le Professeur Rannou possède-t-il un savoir suffisant pour pouvoir traiter de ces questions-là ? Peut-on en douter ?
Mais encore, l’article mentionne qu’« une vingtaine d’ostéopathes » ont été sélectionnés pour réaliser les « six séances de manipulations ostéopathiques ». Comment cette sélection s’est-elle
faite ? Quels en sont les critères ? Quel(s) type(s) de manipulation(s) étai(en)t-ce ? Ces traitements étaient-ils les mêmes pour tous les participants ? Quelle était l’expérience professionnelle des ostéopathes sélectionnés ? Pourquoi n’avoir sélectionné que des ostéopathes exclusifs ? Les médecins et kinésithérapeutes ostéopathes ont-ils été exemptés ? Favorisés ? Où et comment se sont déroulés les soins ? Sur quel(s) critère(s) la sociologue s’est-elle basée pour que les pratiques soient considérées comme « homogènes ». A-t-on accès à ces données ?
L’environnement général de cette étude semble transgresser plusieurs lois fondamentales de l’étude expérimentale scientifique. Au mépris de la méthodologie, voire peut-être, au mépris de l’éthique scientifique même. Nous pouvons nous questionner sur l’élaboration des hypothèses – l’ostéopathie n’a jamais prétendu guérir les pathologies chroniques ; qui peut le prétendre ? Sur ses conclusions, sorte de syllogisme fonctionnant sur un raisonnement absurde (Exemple : les médicaments antiviraux sont inefficaces contre la COVID ; donc les médicaments antiviraux sont inefficaces contre les virus). Et enfin sur la compréhension finale de l’étude – l’effet placebo est, à ce titre, effectif pour n’importe quelle type de traitement médical. Si bien qu’« il ne faut point enseigner les théories comme des dogmes ou des articles de foi. Par cette croyance exagérée dans les théories, on donnerait une idée fausse de la science, on surchargerait et on asservirait l’esprit en lui enlevant sa liberté et étouffant son originalité, et en lui donnant le goût des systèmes. […] En un mot, il faut modifier la théorie pour l’adapter à la nature, et non la nature pour l’adapter à la théorie » (Claude Bernard, Introduction à l’Etude de la Médecine Expérimentale, éd Champs Classiques, P 91).
N’est-ce pas le rôle du journaliste que d’exposer tous les tenants et aboutissants d’un sujet ? De se placer dans une certaine neutralité ? Ou à défaut, à travers un professionnalisme certain ? Car il en va de la crédibilité du dit journaliste et du quotidien. Mais aussi de la compréhension des lecteurs qui, eux, ne sont pas ou peu sachants sur le thème abordé. De ce fait, pourquoi écrire et publier un article péremptoire où les zones d’ombres restent nombreuses ? La déréliction de l’ostéopathie serait-elle finalement le seul et unique effet recherché ? Car si cet article est évidé d’une intelligibilité certaine, en quoi n’incarnerait-il pas une pensée médicale monopolistique tacite ?
L’ostéopathie est une médecine manuelle reconnue en France depuis 2002. Encadrée par la loi française, elle est légitime et de ce fait ne peut être qualifiée de « bâtard ». Penser que la pratique de la médecine allopathique est la seule légitime est une absurdité dans la compréhension philosophique, sémantique et sociologique de la santé.
L’ostéopathie n’est en rien miraculeuse, magique ou mystérieuse. Elle présente, tout comme la médecine allopathique, des zones d’ombres pour lesquelles la science n’a pas encore projeté ses lumières. L’expérience, la connaissance et la pratique de ses praticiens prouvent continuellement la nécessité de cette place prise un peu plus, chaque jour, dans le monde de la santé. N’en déplaise à l’égo, l’aveuglement et l’enracinement de certains dans une médecine rétive au sens, à l’ouverture et à la complémentarité. « Certains pourront dire que ma souffrance était nécessaire afin que ce bien [l’ostéopathie] puisse survenir ; mais je ressens que mon chagrin eut surtout pour origine la grande ignorance de la profession médicale. » (Andrew Taylor Still, fondateur de l’ostéopathie,1897).
Florent Majoullier
A lire sur le même sujet – Réponse du Syndicat Français Des Ostéopathes : https://www.osteopathe-syndicat.fr/etude-dite-jama-l-osteopathie-ne-serait-pas-plus-efficace-qu-un-placebo-sur-la-lombalgie
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